Un privé sur le Nil

15.12.2012

Critique dans Les lectures de l’oncle Paul


On ne peut se lasser de Lasser. Des aventures époustouflantes, périlleuses, humoristiques, mystérieuses, énigmatiques, exotiques, divines… J’en redemande !

Lasser, vice compris !

 

Détective privé, d’argent mais pas d’esprit, spécialisé dans les histoires de cocufiage, Jean-Philippe Lasser a été mandé pour une énième et banale affaire d’adultère. C’est ainsi qu’en cette année 1932 il se trouve à Marselha, devant prendre en photo, en direct et en catimini, les ébats du mari libidineux et sa nouvelle conquête. Seulement Arcadius, le lubrique, n’est pas manchot et Lasser se réveille plus tard en train de compter ses abatis dans la chambre des exploits amoureux hors mariage. Il est soigné par l’amante d’Arcadius et ils se carapatent jusqu’à Touloun afin d’échapper aux hommes de main du mari colérique et grand patron de la pègre, non seulement locale mais nationale. C’est ce qu’Ounénet, la belle Egyptienne maîtresse d’Arcadius lui apprend. Ils embarquent précipitamment sur un navire à destination du Caire, et c’est là que les affaires sérieuses commencent pour Lasser.

 

Le manuscrit de Thot.

 

Lasser végète au Caire en effectuant de petits boulots. Il vit à l’hôtel Sheramon et Fazimel, la réceptionniste de l’établissement, lui sert de secrétaire et d’assistante. Il est fort étonné en cette année 1935, alors qu’il sirote tranquillement comme à son habitude son whisky sans glaçon, lorsqu’Isis, la déesse Isis en personne, se présente devant lui et l’informe qu’elle a besoin de ses services. En paiement elle lui offre un bracelet composé d’or massif et d’émeraude. De quoi régler ses dépenses durant toute une année. Seulement il doit retrouver le manuscrit de Thot, dieu de la connaissance, du savoir et de la sagesse, sur lequel il aurait consigné ses formules de magie noire et autres. Il doit réciter l’hymne à Râ dans quelques jours, sinon le Nil ne sera pas en crue et les récoltes risquent de pâtir de la sécheresse. Lasser se rend en taxi sur le plateau de Guizéh, afin de soutirer quelques renseignements auprès de Sphinxy, le meilleur indic du Caire. Ne dérogeant pas à son habitude, Sphinxy pose une devinette à Lasser qui la résout facilement. Sphinxy affirme qu’il va se renseigner mais énonce une nouvelle énigme qui aidera grandement Lasser, plus tard. C’est au cours de cette affaire, qui verra l’assassinat de Sphinxy, que se dresseront devant Lasser les deux personnages qui ne cesseront de l’importuner, le brutaliser, lui mettre des bâtons dans les roues : Hussein Pacha Rouchdy, le chef de la garde de Pharaon, Ramsès XXVII, l’homme le plus haï de tout le pays (Hussein pas Pharaon) et Seth, le dieu vil et méchant obligé toutefois de s’incliner devant Isis. L’épilogue est à déguster.

 

Le chat de Sekhmet

 

Tout comme dans l’épisode précédent, Lasser déguste dans la sérénité son whisky lorsque se dresse devant lui Sekhmet, la déesse lionne. Une de ses chattes sacrées a disparu alors qu’elle devait participer à un grand concours de félins lors des fêtes de Bastet. Elle est persuadée qu’Ântyou, son matou, pouvait remporter haut la patte ce concours. En plus des quatre pierres précieuses qu’elle offre à Lasser afin de couvrir ses frais, elle lui adjoint Ouabou nommé pour l’occasion assistant. Ouabou est un chat, et malgré ses objurgations Lasser est bien obligé de se plier aux désirs qui sont des ordres de Sekhmet. Ouabou possède la particularité de parler, et de se comporter en taquin. Ils mèneront leur mission à bien, malgré Hussein Pacha et Seth, et se feront de nouveaux amis que l’on retrouvera au cours des enquêtes suivantes. Lasser comprendra qu’il ne faut jamais se fier aux apparences.

 

L’embrouille féline.

 

Nouvelle aventure pour Lasser que l’on retrouve dans sa position habituelle du début d’une enquête : en train de siroter son whisky et commençant à manquer de liquide. Entrée de Sekhmet qui l’invite à assister à une petite réception organisée en son honneur à L’Argemmios, en compagnie de ses amis Hâpi et U-Laga Mba. Tandis que ses amis reçoivent en récompense pour leur action efficace or et joyaux, Lasser hérite de Ouabou, ce qui ne l’enchante guère. Il traîne son spleen en dégustant son whisky lorsque sur les conseils d’Isis, Nout, déesse du ciel et des étoiles, lui demande de retrouver un coffret contenant une de ses cartes célestes ainsi que ses instruments d’astrologie. Je me garderai bien de tout dévoiler, par respect envers les auteurs et que j’ai hâte de passer à l’épisode suivant, mais je me contenterai de vous signaler qu’il s’agit ici d’une amusante variation sur le conte du Chat botté.

 

Le quatorzième morceau d’Osiris.

 

Un morceau d’anthologie, si je puis m’exprimer ainsi. Seth, l’ignoble dieu dont j’ai déjà eu l’occasion de mettre en avant les méfaits, jaloux d’Osiris, avait noyé celui-ci, puis estimant que cela n’était pas assez, l’avait découpé en quatorze morceaux dispersés chacun dans une jarre. Isis est parvenue à embaumer son mari avec l’aide d’Anubis, mais selon la rumeur elle n’aurait pu récupérer que treize morceaux. Seulement le chaînon manquant s’avère être le plus important car il s’agit du sexe d’Osiris qu’elle a remplacé par un organe en argile. Rumeur ou pas, il n’empêche que Lasser se voit investi d’une nouvelle mission. Rechercher l’organe fécondateur d’Osiris qui a disparu de sa cache à Philae, et comme Isis a une petite envie, elle tient à ce que son détective unique et préféré le retrouve le plus rapidement possible et si possible en bon état.

 

Un épisode qui n’est pas sot, rien que d’y penser (je précise qu’il s’agit en ce cas d’un jeu de mot dont la signification profonde ne vous sera dévoilée qu’en lisant l’ouvrage).

 

La querelle nubienne.

 

Pour une fois, c’est un dieu qui interrompt Lasser dans la dégustation de son breuvage favori. Khnoum, le dieu des cataractes et le maître de l’eau fraîche, qui contrôle les crues du Nil, est bien embêté : le Nil est à sec ! Lasser va enquêter sur le pourquoi du comment, une immense faille s’étant produite au lieu dit des cataractes, engloutissant les eaux du fleuve. Il s’agirait d’une vengeance des dieux nubiens qui protestent contre l’enfermement d’un fils de responsable de la Nubie, accusé d’avoir tenté d’empoisonné Pharaon. Une enquête qui démarre en trombe, et pour Lasser une mission à risques, ne serait-ce qu’un voyage à dos de chameau, lui qui est sujet à une forme d’acrophobie, puis en felouque sur une vague qui ressemble à une sorte de mascaret. Le surf avant l’heure.

 

 Ce roman en un prologue, cinq actes et vingt-cinq tableaux, propose une intégration réussie entre l’Egypte mystérieuse des Pharaons et les années 1930. Ainsi que le fantastique allié au roman policier de détection. Jean-Philippe Lasser, dont on ne se lasse pas, pourrait être un mélange de quelques personnages de détectives célèbres : Nestor Burma de Léo Malet, dont il possède le cynisme, Fazimel incarnant la belle Hélène Chatelain ; de Tem de Roland Wagner, détective qui possède la particularité de passer inaperçu et évoluant dans un univers nimbé de fantastique ; de Frankie Pat Puntacavallo de Jean Mazarin, le privé dont les aventures sont narrées de façon humoristique sur fond de soleil méditerranéen ; et enfin Toby Peters, le détective privé continuellement fauché de Stuart Kaminsky, qui côtoie les plus grands artistes ou personnages de l’Amérique des années 50, qui se retrouve à chacune de ses enquêtes dans des situations improbables, accompagné d’un dentiste plus ou moins charlatan qui l’aide dans les moments difficiles comme le font U-Laga Mba et Hâpi. Pourtant Lasser possède sa personnalité propre, considéré par ses ennemis, Hussein Pacha en tête, comme un fauteur de troubles et un créateur d’embrouilles.

 

On ne peut se lasser de Lasser. Des aventures époustouflantes, périlleuses, humoristiques, mystérieuses, énigmatiques, exotiques, divines… J’en redemande !