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Eleyna découvre Lasser
COUVERTURE ET ACCROCHE
J’aime beaucoup la couverture avec les contrastes très marqués et les noirs très obscurs qui donnent un aspect vieille époque à l’illustration. ça correspond bien à l’idée d’illustrer la période des années 30 et la notion polar, tout en rappelant le côté humoristique du texte par l’aspect un peu cartoonesque des personnages et notamment de leur position caricaturale. Très amusant d’ailleurs que la référence visuelle à l’Egypte soit une statue du dieu Seth, antagoniste notoire de la mythologie locale et qui sera un ressort récurrent de l’intrigue.
Le résumé présente bien le contexte, l’intrigue et le potentiel humoristique de la plume des deux auteurs. Toutefois, je regrette un peu l’introduction du personnage, pas tout à fait fidèle à la mentalité qu’on peut rapidement lui découvrir. Non, il ne cherche pas les gros coups, bien au contraire, les petites affaires pépères lui conviennent parfaitement. On comprend d’autant mieux, outre la menace divine qui plane sur sa tête, que Lasser n’ait pas du tout envie de cette enquête dans le milieu VIP des dieux.
PROSE ET STRUCTURE
Je lis rarement des textes écrits à quatre mains, mais je dois dire qu’on sent bien ici l’investissement et l’amusement dont ont fait preuve les deux auteurs. Écrite à la première personne du singulier, la narration se veut une parodie des romans de polar noir, exacerbant les réflexions internes et autres caractéristiques typiques des détectives désabusés. Le personnage de Lasser en lui-même n’est pas spécialement drôle, l’humour s’installe dans l’usage volontairement accentué des clichés du genre, des situations grotesques, des références culturelles ou encore du comique de répétitions. On apprécie ou non, globalement, je trouve que ça fonctionne plutôt bien, même si je suis moins sensible à certains procédés. Par exemple, j’ai moyennent accroché sur l’apparition récurrente du personnage de Seth à qui l’on ôte toute subtilité pour en faire un ressort humoristique. A l’inverse, j’ai plutôt apprécié la revisite du conte du chat botté, qui sortait du cadre attendu des clichés égyptiens, et donc me semblait bienvenu. Comme on dit, l’humour est subjectif, il fait mouche ou non, il est donc préférable pour chacun de se faire son propre avis.
Bien que l’histoire soit découpée en chapitre, elle est aussi et surtout découpée par histoire, ou plutôt par enquête, puisque la première affaire avec le manuscrit de Thot va malencontreusement entraîner le détective dans une succession d’affaires divines, les Dieux se passant tous le mot sur ses capacités plus ou moins véridiques à mener une enquête sans accroc. L’avantage, c’est que ces petites affaires dynamisent le récit, faisant varier les protagonistes, les environnements et les situations humoristiques, même si nous restons toujours en Egypte et que nous finissons toujours par retomber sur des têtes connues. L’inconvénient, c’est que l’explication pour arriver à la résolution du problème est parfois hasardeuse. Ainsi, on justifie souvent de suivre une piste comme si elle était la seule et unique voie possible, alors qu’il nous en vient assez rapidement plusieurs autres en tête. Evidemment, l’ambiance parodique fait mieux passer la pilule que si le texte s’était pris au sérieux, tout dépendra donc de la largesse de votre suspension d’incrédulité.
PERSONNAGES ET NARRATEURS
Le personnage de détective de Jean-Philippe Lasser est, avouons-le, assez commun pour le genre de la parodie de polar noir. Fainéant et alcoolique notoire, il se sent mieux assis au comptoir de son bar préféré que sur le terrain à crapahuter pour un client. Pas vraiment altruiste, il aide les gens en y allant à reculons, mais pas mauvais bougre non plus, il fait son maximum pour que l’histoire se finisse au mieux pour chacun. On veut nous faire croire que seule sa paie l’intéresse, mais il s’inquiète toujours de ce que deviennent ses camarades, puisque, bien gentil qu’il est au fond, il a quand même pas mal d’amis pour l’épauler au besoin. Bref, c’est le profil type du détective blasé qui refuse par principe mais qui au fond, sera toujours là pour faire au mieux. Un personnage qu’on ne peut pas vraiment détester, mais qui ne marque pas non plus les esprits.
A titre personnel, j’ai préféré les personnages secondaires, même s’ils sont eux aussi, assez attendus pour le genre. Ainsi, il y a Fazimel, la réceptionniste de l’hôtel où séjourne Lasser, qui est aussi accessoirement sa réceptionniste/associée/sauveuse de dernière minute selon l’importance qu’il veut bien lui accorder. Intelligente, débrouillarde et attentive à toutes les rumeurs qui pourraient aider son « patron », elle a plus d’un tour dans son sac, même si c’est une folle du volant qui peut se montrer très têtue. Elle est toujours mise en retrait, puisque c’est Lasser le héros, pourtant elle est souvent capitale pour résoudre les enquêtes.
Qui dit détective privé, dit policier mal embouché, avec le ventripotent Hussein Pacha, chef des gardes du Pharaon et ennemi juré de Lasser, qui ne rêve que d’une chose, pouvoir jeter son rival au cachot. Amusant sur le coup, mais un peu redondant dans ses manières de gardien bête et méchant (personnellement, j’ai déjà vu de telles interactions où le rival a au moins des moments d’intelligence, ce qui redonne un peu de hauteur à l’ensemble). Un peu comme le second antagoniste, Seth, le Dieu du chaos, qui débarque dans sa voiture de luxe toutes les cinq minutes, parce que bastonner les gens sans raison, c’est amusant. Pourquoi pas, même si ce ne sont pas les ressorts comiques qui me parlent le plus.
Parmi les personnages restants, nous rencontrons bien entendu une ribambelle de Dieux, des VIP roulant sur l’or tous plus imbus d’eux-mêmes et versatiles les uns que les autres. Autant dire qu’il ne vaut mieux pas s’attirer leurs foudres, car les humains peuvent rapidement finir vaporisés ou jetés dans la fosse aux crocodiles. Là encore, un classique du genre (on voit rarement les Dieux philanthropes aux mœurs ascétiques et portés sur l’altruisme le plus désintéressé qui soit), mais qui fonctionne plutôt bien dans l’ensemble.
UNIVERS ET ATMOSPHÈRE
L’univers de Lasser est une forme d’uchronie fantastique où les Dieux et les créatures mythologiques existent et vivent parmi les humains. Je parle bien d’uchronie, puisque les aventures du détective se passe dans les années 1930 et on constate rapidement que la réalité des mythes à quelque peu bouleversée les faits historiques. La France par exemple ne s’est jamais constituée, puisque les Dieux gaulois ont repoussé, il y a fort longtemps, les envahisseurs romains. C’est donc bien en Gaule que naît Jean-Philippe, là où dominent Teutatès et Belisama. De même, il semble a priori que la colonisation de l’Afrique n’a jamais eu lieu et que des pays comme la Nubie existent toujours. Un contexte qui pourrait a priori désarçonné plus d’un lecteur, toutefois, nous ne sommes pas vraiment dépaysés, puisqu’une fois le prologue passé, toute l’intrigue se déroule en Egypte, une terre où le culte des divinités terrestres a longtemps existé, ce qui rend cette version fantasmée des terres du Nil finalement plus accessible qu’une Gaule païenne.
Qui dit existence des Dieux dit bien entendu cohabitation avec les humains. Toujours vénérés dans les temples et capables des plus grands prodiges, les Dieux ont peu à peu évolués comme des stars vivant dans de magnifiques domaines et roulant en voiture de luxe, dont la vie privée des plus croustillantes intéresse fortement la presse à scandale. Versatiles et capricieux, ils estiment que les humains sont à leur service et n’acceptent aucun refus de leur part, aucun travers. Colériques et mauvais perdants, ils peuvent se montrer cruels pour le plus petit prétexte et tuer les gens pour un simple regard de travers. Mais ils sont aussi prompts à se mettre dans des situations embarrassantes qui les poussent à trouver quelques esclaves bonnes âmes pour régler discrètement leurs problèmes contre de généreuses récompenses. De plus, certains comme Osiris se montrent bienveillants, quand d’autres s’amusent à vivre discrètement auprès des hommes. Des divinités qui soufflent le chaud et le froid donc, ce qui participe à l’ambiance parfois ubuesque des situations dans lesquelles se retrouvent plongé bien malgré lui notre cher détective.
INTRIGUES ET THÉMATIQUES
Après avoir fui la Gaule pour avoir foiré une enquête sur une grosse pointure de la mafia locale, Jean-Philippe Lasser, détective fainéant et consommateur de whisky, débarque en Egypte et décide d’y relancer sa carrière. Trois ans plus tard, il a sa petite vie de détective pépère qui loue sa chambre d’hôtel au mois, déguste son verre de whisky entouré de pachas et se renfloue de temps en temps en acceptant une affaire pas trop complexe. Jusqu’au jour où la déesse Isis en personne lui demande de retrouver le livre perdu de Thot. Une affaire qu’il ne peut pas refuser et qui sera le début d’innombrables ennuis.
L’histoire de Lasser est en vérité une succession d’enquêtes qui découlent souvent des conséquences des précédentes, notamment parce que Lasser, qui n’a pourtant rien demandé, commence à être connu dans la sphère des Dieux. Sur le principe, c’est très intéressant, cela permet de suivre des histoires pas trop complexes tout en étendant progressivement l’univers et en décrivant de façon plutôt ludique les différents aspects mythologiques. Toutefois, on atteint aussi rapidement les limites de l’exercice dans la sensation de résolution trop rapide et pas forcément logique. On pourrait même en rire, vu le contexte, comme il arrive parfois des sortes de Deus ex Machina qui ne me semblent pas vraiment être écrits comme des ressorts humoristiques (aucune réflexion ne va dans ce sens alors que Lasser se moque souvent des Dieux). Des facilités scénaristiques donc, que j’ai toujours trouvé trop facilement excusées dans le domaine de la parodie, ce qui explique que moi-même je suis beaucoup plus difficile sur la question. Après, je reconnais que les enquêtes vont en s’améliorant, en prenant davantage de temps et en comptant un peu moins sur la chance. Les histoires deviennent plus complexes, plus sombres aussi, même si tout ce qui touche à la violence et à la mort est finalement tourné en dérision, parodie oblige.
Côté mythologie, on est plutôt bien servi puisqu’on retrouve nombre de divinités égyptiennes, ainsi que quelques références aux autres mythologies du monde. Peu de créatures, je ne vais pas vous mentir, on a un sphinx ici, un ogre là, mais globalement, ce sont bien les Dieux qui ont la vedette. D’ailleurs, le texte fourmille de petits détails à leur sujet, comme par exemple leur parfum qui porte les fragrances de leurs symboles (par exemple le lotus pour Nefertoum). La mythologie, qu’on voit d’ailleurs souvent très figée dans ses caractéristiques (on limite souvent un Dieu à un attribut), permet de façon détournée de parler des problématiques typiquement humaines, comme l’abus de pouvoir, l’importance que l’on donne aux apparences, la confiance aveugle que l’on accorde à certains, ou encore les conflits géopolitiques. Bref, c’est amusant, divertissant et ludique, et ça plaira certainement à tous les amoureux de l’Egypte ancienne qui apprécient les textes légers et faciles à lire.
CONCLUSION
Lasser, détective des dieux : Privé sur le Nil, est une parodie de polar noir qui se déroule dans un univers d’uchronie fantastique où les Dieux vivent auprès des hommes. Un texte léger, divertissant et ludique dans sa présentation plutôt précise des Dieux, même s’il souffre à mon sens de quelques problèmes de rythme et de facilités scénaristiques qu’on pardonne un peu trop facilement dans le domaine de la parodie. Un premier tome plutôt convaincant qui encourage à lire la suite.