Letord type 5

La première fois que Lasser prend l'avion, c'est durant l'enquête qui doit l'aider à faire revenir les eaux du Nil en Egypte. Voici comment il décrit ce premier contact : "Trois heures après notre arrivée, nous nous envolions d’Assouan pour Napata à bord d’un vieux coucou qui volait par miracle. Le biplan tombait en ruines et puait l’huile. La carlingue était piquetée de rouille. Aux dires du pilote, un dénommé Hépouy, il s’agissait d’un Letord type 5 de 1917 qu’un dieu avait abandonné dans les parages parce qu’il en avait assez d’être décoiffé."

Notre détective favori est loin d'apprécier l'expérience : "J’ai passé tout le voyage les yeux fermés, ne souhaitant pas voir ma mort arriver. Le moteur avait des ratés, l’avion tombait dans les trous d’air avec de brusques soubresauts, les ailes vibraient et l’hélice faisait un boucan à réveiller les morts. [...] L’atterrissage a été un véritable calvaire : l’avion a rebondi quatre fois sur la piste improvisée, une étendue de sable dur au milieu de dunes pelées. Si je n’avais pas cru ma dernière heure venue pendant le vol, j’étais persuadé que je rejoindrais le Pays des Morts dans les minutes qui suivaient. Au premier rebond, nous avons heurté violemment le sol. Au deuxième, un craquement sinistre a retenti. Au troisième, l’appareil a penché dangereusement sur la droite avant de se redresser. Enfin, au quatrième, le moteur a calé et le biplan est retombé comme une crêpe, glissant d’interminables secondes sur la piste pour finir par s’immobiliser en grinçant."

La réalité historique

Le Letord est l’un des modèles d’avions construits et utilisés durant la première guerre mondiale.En avril 1916, le ministère de l'Air élabore une demande pour un avion triplace de reconnaissance à longue portée. Cet appareil est destiné à l’aéronautique française désireuse de trouver un successeur au Caudron R.IV. Les spécifications comportent de lourdes exigences en termes de performance, de taille approximative et de puissance, ainsi que l’utilisation de 2 moteurs Hispano-Suiza 8.

Après la publication de ce document, seul le bureau Letord, peu connu, exprime sa volonté de créer une machine selon le rigoureux cahier des charges. Ce projet est mis en œuvre directement avec le colonel Dorand, l'un des auteurs de ces spécifications. Le prototype, qui vole en 1916, s’avère être une réussite et la firme signe immédiatement un contrat pour 390 exemplaires de série. L'avion, baptisé Letord 1 ou Let.1, apparaît en avril 1917 dans les escadrilles françaises.

L’appareil se présente comme un biplan tricycle d’assez grosses dimensions, avec une structure en bois massif avec un revêtement tissu. Il est propulsé par 2 moteurs Hispano-Suiza 8A, de 150 ch. Un des traits caractéristiques de la machine est l’encoche significative sur l'aile supérieure pour améliorer la visibilité vers le haut. Le pilote est assis dans un cockpit ouvert, le mitrailleur de queue également au milieu du fuselage. Le troisième membre d'équipage se place dans le nez où il peut agir en tant que tireur, observateur, ou bombardier. Equipé de 4 mitrailleuses en tout, le bimoteur Let.1 peut emporter 150 kg de bombes.

De conception un peu plus élaborée, les performances du Letord sont pourtant relativement similaires à celles de son prédécesseur, le Caudron R.VI. Plusieurs versions du Letord sont construites. Elles se distinguent essentiellement par le type de mission ou la motorisation embarquée. Ainsi, le Let.2 est une version améliorée du Let.1 avec deux moteurs Hispano-Suiza 8Ba de 200 ch. et une envergure légèrement accrue. Le Let-3, identique au Let-2, est destiné aux missions de bombardement. Ces deux appareils augmentent assez sensiblement leur vitesse et leur taux de montée par rapport au modèle d’origine.

Les versions Let.4, de reconnaissance, et Let.5, de bombardement, sont équipées de moteurs Lorraine-Dietrich 8A ou 8Fb de 220 ch., sans autre changement. Sur le Let.6, destiné à l'escorte de bombardiers (section CA3, chasseur triplace), la motorisation est assurée par des moteurs Hispano-Suiza 8Be et l’armement se compose d’un canon de 37mm. Le modèle Let.7 de bombardement emporte deux moteurs Lorraine-Dietrich.

Ces appareils arrivent en service opérationnel au cours de l’année 1917. Au mois d'août, on dénombre  98 Letord au combat. Ce nombre est porté à 120 en novembre de ma même année. Ces avions viennent compléter les escadrons rattachés aux armées terrestres, déjà équipés avec d’autres types d’avions. Un seul escadronest entièrement équipé de Letord. Parmi les nombreuses variantes, le Let.5 est le plus important, avec environ cinquante exemplaires employés entre 1917 et 1918.

En 1918, une dernière version est conçue : le Let.9. Il s’agit d’un bombardier nocturne biplace (désignation BN2), équipé de moteurs Liberty L-12. Il n’est jamais construit en série et la commande est annulée à la fin du conflit, en novembre 1918.

Malgré des commandes nombreuses (estimées à plus de 1.500), les Letord sont effectivement construits à 300 unités environ, toutes versions confondues. Les appareils restent en service jusqu'à la fin de la guerre, et ils sont ensuite démilitarisés et utilisés au profit des liaisons postales et de transport de fret. Fondamentalement, le Letord, conçu pour la reconnaissance, s’avère un bon appareil de combat en tant quebombardier.